Quelle est la contribution des responsables financiers dans la croissance d’une start-up ou scale-up ? Et comment se construire soi-même une carrière durable dans la finance ? Depuis des années, Tom Libbrecht (VP Finance chez Silverfin) et Jacob Quartier (CFO chez Smappee) partagent leurs ressentis à ce sujet. Nous vous proposons une double interview avec ces deux spécialistes, et amis.
Que pensez-vous de l’évolution de votre entreprise ?
Tom Libbrecht : " Depuis mon arrivée chez Silverfin, mon travail consiste principalement à faire en sorte que les entrepreneurs de notre organisation puissent, eh bien, entreprendre. C’est-à-dire que je veille à ce qu’il y ait toujours suffisamment de trésorerie disponible et à ce que tout soit en ordre du point de vue de la compliance. Je dois aussi m’assurer que les entrepreneurs savent quels effets ont leurs activités, c’est pourquoi nous avons tout de suite mis en place un reporting clair et rapide.
Dès que le volume de vente a commencé à augmenter, le défi a été d’adapter les processus pour que le département financier puisse suivre la croissance de l’entreprise. Les quelques années suivantes ont donc été placées sous le signe de l’automatisation et de la mise en place d’outils logiciels. Depuis que les outils et processus sont au point, je me consacre davantage à des projets ad hoc. En parallèle, j’ai aussi évolué d’un statut de ‘team member’ à celui de People Manager, mais ma contribution personnelle n’en reste pas moins importante aujourd’hui. "
Jacob, vous reconnaissez-vous dans les propos de Tom ?
Jacob Quartier : "Tout à fait. Lors de levées de fonds, le CFO a un rôle important à jouer, mais la confiance dans le produit ou service de l’entreprise et les fondateurs reste décisive. Le CFO doit veiller à ce que les propos des chefs d’entreprise s’appuient sur des chiffres corrects.
C’est la raison pour laquelle une bonne hygiène financière est indispensable, dès le début. Les fondamentaux doivent être solides et la comptabilité doit être au point, afin que les chiffres soient fiables et que l’on puisse rapidement évoluer vers une comptabilité analytique, qui offre des données et informations pertinentes pour le reporting au management. Des données et informations qui pourront challenger le CEO. En effet, les CEO ont souvent un bon instinct, mais il faut continuer à les stimuler avec des données de qualité rendues digestes et exploitables, que l’on partage ensuite avec les principaux partenaires commerciaux, afin qu’ils puissent agir en conséquence. "
Une carrière durable implique de ne pas passer toute sa carrière au sein de la même entreprise. Avec un grand nombre de nos collaborateurs, nous préférons travailler ensemble de manière intensive pendant environ trois ans, pour ensuite nous quitter en de très bons termes.
Jacob Quartier, CFO chez Smappee
Comment le département financier doit-il évoluer alors, lorsque l’entreprise grandit ?
Jacob Quartier : "Ce que l’on ignore souvent lors du passage d’une start-up au statut de scale-up, c’est l’importance de choisir très tôt les bonnes technologies, qui seront capables d’évoluer avec l’entreprise. C’est capital, surtout lorsque l’effectif passe soudainement de trente collaborateurs à plus de cent. "
Tom Libbrecht : "Idéalement, il faut que les investissements et la maturité de l’équipe financière et des processus aient toujours un peu d’avance sur la courbe de croissance de l’entreprise. Ainsi, le département financier est toujours prêt pour la prochaine étape. Mais attention, il ne faut pas non plus grandir trop vite, sinon les frais généraux du département deviendront trop élevés. C’est le grand défi de notre travail : intervenir au bon moment. Par exemple, quand faut-il passer de HubSpot à Salesforce ? Quel est le meilleur moment pour embaucher un nouveau collaborateur pour l’évolution qui arrive ? Garder une perspective à long terme, tout en réagissant aussi très rapidement aux changements... C’est l’équilibre qu’il nous faut trouver chaque jour. "
Comment une équipe financière peut-elle évoluer de start-up à scale-up ?
Jacob Quartier : "Le plus souvent, on commence avec un comptable polyvalent, qui prend du plaisir à accomplir des tâches variées. Le CFO prend parfois à son compte la tâche de controleur, afin d’obtenir des chiffres fiables, mais il faut rapidement faire intervenir un Business Controller. Ensuite, il faut spécialiser les comptables. "
Tom Libbrecht est VP Finance chez Silverfin, une entreprise fondée en 2013 qui a récemment été rachetée par Visma. "Silverfin a été créée par un ancien comptable, Joris Van Der Gucht, qui était frustré par la manière dont il devait travailler et qui a donc eu envie de développer une autre méthode de travail, et par un Software Architect, Tim Vandecasteele, qui était à la recherche d’un problème compliqué pouvant être résolu par un produit SaaS dans le cloud. Pour résumer, nous proposons une plateforme de post-accounting basée dans le cloud. Nous rassemblons les données comptables des clients dans un hub, nous automatisons des flux de travail comme les dossiers, les comptes annuels, les déclarations d’impôts, etc., et nous facilitons les interactions pour ces tâches, ainsi que l’output."
Jacob Quartier est quant à lui CFO chez Smappee. "Notre entreprise a été créée il y a onze ans par Stefan Grosjean, un serial entrepreneur dont l’objectif était d’agir pour un monde plus durable, au moyen d’une entreprise générationnelle. Au départ, Smappee proposait uniquement un système de gestion énergétique, qui permettait d’analyser la consommation énergétique. Jusqu’à l’électrification des flottes de véhicules de société. Soudainement, le marché a eu besoin de centaines de points de recharge. Nous avons donc décidé de créer des bornes de recharge intelligentes, permettant notamment de recharger une voiture électrique avec de l’énergie solaire."
Lorsque vous êtes arrivés chez Smappee et Silverfin, vous n’en étiez pas à votre coup d’essai, n’est-ce pas ?
Jacob Quartier : "Il y a vingt ans, je travaillais déjà pour la multinationale américaine Nuance Communications, spécialisée dans la technologie de synthèse de la parole et reprise dans l’indice NASDAQ. D’abord à Merelbeke, puis à Dublin pendant un an et demi, où nous avons mis sur pied une équipe comptant une trentaine de membres. J’y ai appris énormément de choses, notamment comment poser les fondations solides d’une entreprise. Je me suis appuyé sur cette expérience dans la suite de ma carrière au sein d’entreprises en croissance, comme Showpad et iText. Je travaille chez Smappee depuis un an et demi."
Tom Libbrecht : "J’ai débuté ma carrière en tant que consultant chez TriFinance, avant de rejoindre InSites Consulting (désormais Human8) et ensuite PwC. Il y a un peu plus de six ans, j’ai eu la possibilité d’intégrer Silverfin, juste après sa Série A (la première levée de fonds auprès d’investisseurs en capital-risque, ndlr.). J’ai hésité à sauter le pas, mais Jacob m’a convaincu de me lancer, et je n’ai jamais regretté cette décision (rires)."
De quels profils et de quelles compétences a-t-on besoin dans une équipe financière ?
Tom Libbrecht : "L’équipe financière d’une start-up doit disposer de l’expérience nécessaire. C’est la raison pour laquelle je n’engage pas de jeunes diplômés. Je trouve important de donner sa chance à chacun, mais l’environnement de travail au sein d’une start-up ou scale-up est vraiment difficile pour les jeunes fraîchement sortis de l’école. En effet, on attend des collaborateurs qu’ils apportent tout de suite une valeur ajoutée, et il n’y a tout simplement pas le temps d’apprendre les bases de la vie en entreprise.
Tous les collaborateurs doivent aussi faire preuve d’une grande flexibilité. Par exemple, un généraliste peut très bien s’en sortir au sein de l’entreprise, jusqu’à ce qu’on attende soudainement de lui qu’il devienne un spécialiste. Là tout de suite, pas dans cinq ans ! J’ai déjà dû faire des choix difficiles pour la composition de mon équipe. Certains collaborateurs parviennent à développer assez vite les compétences nécessaires pour évoluer avec l’entreprise, tandis que d’autres ont plus de mal. Il faut alors faire appel à quelqu’un d’autre pour accompagner l’entreprise dans sa prochaine étape. "
Jacob Quartier : "Dans ce contexte, j’aime travailler avec des experts externes, comme les consultants de TriFinance, qui me permettent d’avoir tout de suite les bonnes compétences au sein de mon équipe. En embauchant un nouveau collaborateur fixe pour chaque expertise, on tombe rapidement dans une culture de ‘hiring & firing’. Après un certain temps, on n’a en effet plus besoin d’un project mind, mais d’un operational mind. Et ce sont souvent des personnes différentes."
Quand on sent que notre date de péremption se rapproche, il faut se réinventer, en adoptant un growth mindset. Cela vaut pour l’équipe financière dans son ensemble, et donc aussi pour moi.
Tom Libbrecht, VP Finance chez Silverfin
Comment se construire une carrière durable dans la finance, dans un environnement qui évolue aussi vite ?
Jacob Quartier : "Quoi qu’il en soit, cela implique de ne pas passer toute sa carrière au sein de la même entreprise. Avec un grand nombre de nos collaborateurs, nous préférons travailler ensemble de manière intensive pendant environ trois ans, pour ensuite nous quitter en de très bons termes. La loyauté ne se mesure pas sur la durée, c’est un engagement profond et mutuel visant à rendre la collaboration la plus réussie possible, pour les deux parties. Lors d’entretiens avec mes collaborateurs, je leur demande carrément ce qu’ils souhaitent apprendre chez nous pour leur prochain défi professionnel ou leur prochaine phase de carrière, chez nous ou ailleurs."
Tom Libbrecht : "Chaque année chez Silverfin compte double. On y accomplit deux fois plus. Nous recherchons donc des personnes ambitieuses et avides d’apprendre rapidement de nouvelles choses, à qui nous voulons aussi offrir des opportunités qui leur permettront de tirer le maximum de leur job."
Jacob Quartier : "Une croissance très forte s’accompagne aussi de défis spécifiques pour une entreprise. Chez Smappee, la moitié des collaborateurs travaillent avec nous depuis moins d’un an. Cette approche apporte de l’oxygène et de l’énergie à notre entreprise, mais elle comprend aussi un risque. En effet, un grand nombre de nos collaborateurs ne comprennent pas encore toutes les ficelles de l’entreprise, c’est pourquoi il faut aussi miser sur une documentation efficace, afin de transmettre les connaissances de base."
Quelles sont les compétences de base dont doit absolument disposer n’importe quel professionnel de la finance dans une entreprise en pleine expansion ?
Tom Libbrecht : "Pour commencer : un growth mindset. Il faut pouvoir gérer le changement et accepter que les jours passent sans se ressembler. Il faut savoir tolérer un peu de chaos et vouloir soi-même évoluer. En même temps, il faut savoir se mettre à la place du client, par exemple celle d’un collaborateur commercial, si celui-ci a une autre opinion."
Jacob Quartier : "Le pragmatisme est aussi une qualité importante. Car dans les premières phases d’une entreprise, il faut parfois faire des compromis. Par exemple pour décrocher des clients ou pour arriver à la situation idéale à l’aide d’une solution qui n’est peut-être pas idéale dans l’immédiat. Le fait que tout ne doit pas tout de suite être parfait dans une start-up ou scale-up permet aussi aux collaborateurs d’évoluer avec l’entreprise. Le défi consiste alors à évoluer assez rapidement."
Tom Libbrecht : "Nous offrons à nos collaborateurs l’opportunité de prendre des initiatives et d’avancer d’une manière qui est en phase avec leurs ambitions. Il peut arriver qu’une personne se retrouve face à un mur si elle ne dispose pas des compétences nécessaires. Dans ce cas, nous examinons avec elle ce qu’elle doit mettre en place pour développer ces compétences."
Nous offrons à nos collaborateurs l’opportunité de prendre des initiatives et d’essayer quelque chose de nouveau. S’ils se retrouvent face à un mur, nous examinons avec eux ce qu’ils doivent mettre en place pour développer les compétences qui leur font défaut.
Tom Libbrecht, VP Finance chez Silverfin
Quelles qualités doit avoir un CFO ou un VP Finance ?
Jacob Quartier : "Il est très utile d’avoir déjà travaillé au sein d’une grande entreprise. On sait alors déjà comment fonctionne une organisation financière et quels en sont les piliers importants. Il faut aussi garder les pieds sur terre, car on peut être amené à faire un peu de tout au sein d’une start-up ou scale-up. Il faut enfin avoir suffisamment confiance en son équipe pour pouvoir s’atteler soi-même à des activités stratégiques en tant que CFO et pouvoir se réinventer, et réinventer le département financier, à chaque nouvelle phase de croissance de l’entreprise."
Tom Libbrecht : "Je sais qu’à l’instar de tous les collaborateurs chez Silverfin, j’ai une date de péremption. Mais je ne sais pas quand elle tombera. Et cette date peut aussi se rapprocher soudainement, s’il s’avère que l’entreprise grandit plus vite que moi. Quand on sent que notre date de péremption se rapproche, il faut se réinventer, en adoptant un growth mindset. Cela vaut pour l’équipe financière dans son ensemble, et donc aussi pour moi. Se construire une carrière durable implique aussi de se séparer d’une entreprise au bon moment, pour relever un nouveau défi professionnel."
Sans doute est-il utile de demander conseil à des pairs dans une situation comme celle-là ?
Jacob Quartier : "Absolument. Il est important de se créer un réseau sur lequel on peut s’appuyer en cas de problème difficile à résoudre seul (ou assez rapidement). Il peut s’agir d’investisseurs, qui disposent souvent d’un vaste réseau de professionnels de la finance, ou d’entreprises actives dans le même secteur. Vous seriez étonnés de voir combien de personnes sont prêtes à aider les autres, pour autant qu’on ose leur demander."
Volatil, complexe, ambigu, incertain... Voilà comment on pourrait qualifier le monde dans lequel nous vivons. D’ici cinq ans, les jobs dans le domaine de la finance ne seront plus les mêmes qu’aujourd’hui. Quels changements nos fonctions subiront-elles ? Quels nouveaux rôles apparaîtront et lesquels disparaîtront ? Nul ne le sait à l’heure actuelle.
Mais une chose est sûre : l’avenir appartient aux professionnels de la finance qui sauront accepter ces changements, ne jamais s’arrêter d’enrichir leurs connaissances et oser se réinventer. Mais aussi aux employeurs qui adopteront une approche durable en matière de gestion des talents, qui accompagneront leurs collaborateurs dans le développement de leurs compétences et qui continueront à aligner les besoins de l’entreprise sur ceux de leurs employés.
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