Nombreux emplois à pourvoir, maladies de longue durée, automatisation et fonctions qui évoluent à vitesse grand V... Le moins que l’on puisse dire, c’est que les défis ne manquent pas sur le marché du travail ! Pour relever ces défis, il faut développer les compétences, favoriser la mobilité interne et adopter une stratégie de gestion des talents qui se veut anticipative. Ce constat vaut pour tous les secteurs, et donc également pour celui de la finance. Cela, Jan Laurijssen, spécialiste des ressources humaines, l’a bien compris. “L’avenir appartient aux organisations qui sauront, sur le long terme, aligner les besoins changeants de leur département financier sur ceux de leurs collaborateurs.”
Jan Laurijssen est un spécialiste des ressources humaines, chercheur et conseiller chez SD Worx. Il excelle dans les domaines de l’organisation innovante du travail, de l’apprentissage tout au long de la vie, du changement en entreprise et des carrières durables.
Au cours de ces dernières années, il s’est consacré à la recherche et à un doctorat, qu’il a entamé à l’université d’Anvers. Jan est aussi un fervent défenseur des RH dites “evidence-based” et membre du Center for Evidence-Based Management (CEBMa), de la European Association of Work and Organizational Psychology et de l’Academy of Management.
“Le modèle ‘un job pour la vie’ a laissé la place à des carrières davantage mises en perspective”, commence Jan. “La question est aujourd’hui de savoir comment on peut rendre les carrières plus durables. Et dans ce contexte, il faut se concentrer sur le développement des compétences, sur la disponibilité et sur la promotion d’un équilibre travail/vie privée.”
De nos jours, chaque emploi est en quelque sorte devenu un emploi en pénurie.
D’après Jan, les choses sont claires : les entreprises ne survivront pas sans une stratégie bien réfléchie en ce qui concerne leur gestion durable des talents. “Le taux d’emploi est historiquement haut, une situation qui se poursuivra très probablement, d’un point de vue démographique, jusqu’en 2040 ou 2050. De nos jours, chaque emploi est en quelque sorte devenu un emploi en pénurie.” Dans le domaine de la finance par exemple, le nombre de postes vacants était en 2022 environ 60 % plus élevé qu’en 2021.
“De plus, la finance étant un secteur qui se numérise et s’automatise depuis déjà quelques décennies, les emplois d’aujourd’hui ne peuvent pas être comparés à ceux d’il y a cinq ans”, explique Jan. “Au fur et à mesure que l’intelligence artificielle s’impose, toutes sortes de fonctions vont changer considérablement, voire disparaître. Nous savons d’ores et déjà que le rôle de Data Scientist deviendra indispensable dans le domaine de la finance, mais nous n’avons encore aucune idée, à moyen terme, des autres fonctions qui feront leur apparition.” Quoi qu’il en soit, de nombreuses personnes devront bientôt endosser un nouveau rôle. “Il incombe aux entreprises de soutenir leurs collaborateurs dans ce processus et de discuter régulièrement avec eux de leur carrière.”
Nous n’avons encore, à moyen terme, aucune idée des fonctions qui feront leur apparition.
En mettant les carrières en perspective et en misant sur un accompagnement interne, on fait passer le facteur concurrentiel au second plan. “Une guerre dans laquelle chacun lorgne les collaborateurs des autres n’aide personne. Il est grand temps de décréter une trêve et de réfléchir de manière plus durable à une façon d’attirer et de conserver les talents.” Et pour ce faire, il est primordial d’éviter les absences. “En Belgique, on compte actuellement 500 000 personnes qui ne travaillent plus pour cause de maladie de longue durée. Un chiffre qui se situe aux antipodes du principe de durabilité, et qui doit absolument être pris en compte dans la mise en place d’une politique adéquate de gestion des talents.”
Un nouvel équilibre entre build, buy et borrow
Les organisations ont l’habitude de se tourner vers le marché du travail pour pourvoir leurs postes dans la finance. Mais étant donné que l’équilibre entre l’offre et la demande a énormément changé, la composante “buy” dans la stratégie de gestion des talents a nettement perdu de son importance. “La formation, sous la forme d’upskilling et de reskilling, s’est imposée comme la nouvelle forme de recrutement. Seules les entreprises qui réussiront à mettre en place une mobilité interne fluide résisteront à l’épreuve du temps. Le but n’est bien sûr pas que tout le monde change de job comme de chemise, mais il n’empêche qu’une telle mobilité est importante.”
Seules les entreprises qui réussiront à mettre en place une mobilité interne fluide résisteront à l’épreuve du temps.
Une gestion durable des talents comprend donc une mobilité interne efficace, mais une aide externe temporaire quand le besoin s’en fait sentir reste évidemment possible. “Il est intéressant d’examiner quand les organisations font appel à des talents extérieurs. Des recherches à ce sujet ont permis d’identifier trois moteurs importants : la capacité, les coûts et les compétences. Ce sont surtout les compétences qui gagnent en importance à présent que les métiers de la finance se professionnalisent et que les entreprises ne trouvent plus forcément l’expertise nécessaire dans leurs rangs. Recruter des talents extérieurs, qu’ils soient temporaires ou non, permet de conserver une expertise suffisante.”
On ne parle pas seulement d’un nouvel équilibre entre build, buy et borrow. Le nombre de “B” passe en réalité de trois à cinq. “Dans le contexte de l’organisation du travail, il est intéressant de compter aussi les ‘bots’ parmi les collaborateurs. En particulier dans le secteur de la finance, les robots ne sont pas près de disparaître, et constituent même une occasion de miser sur la flexibilité et l’apprentissage tout au long de la vie.” Le concept “bounce” (le cinquième “B”) mérite aussi notre attention. Il consiste à pouvoir se séparer de certains collaborateurs lorsque c’est nécessaire, et ce, de manière saine.
“Si un employeur apprend la raison du départ d’un collaborateur au moment de son entretien de sortie, c’est qu’il n’a pas bien fait son boulot d’employeur. C’est pourquoi il faut discuter régulièrement de leur carrière avec les collaborateurs. La classique perception de perte, en cas de départ d’un collaborateur, doit aussi être reléguée aux oubliettes. Dans un monde idéal, l’organisation et le collaborateur s’engagent l’un envers l’autre, de manière transparente, dans une collaboration qui durera tant que la situation sera intéressante pour les deux parties. Lorsque quelqu’un décide de s’envoler vers d’autres horizons, il faudrait pouvoir dire : ‘Nous te soutenons dans cette nouvelle étape, et sache que nous t’accueillerons à bras ouverts si tu souhaites un jour revenir’.”
Seules les entreprises qui réussiront à mettre en place une mobilité interne fluide résisteront à l’épreuve du temps.
Développer des compétences de carrière
Lorsque de nouvelles fonctions apparaissent et que d’autres changent ou disparaissent sur l’autel de l’automatisation, il revient aux collaborateurs, consultants et indépendants d’étoffer leur palette de compétences. “En ce qui concerne l’apprentissage tout au long de la vie, la Belgique ne peut pas se vanter”, déplore Jan.
Mais notre spécialiste des ressources humaines voit quand même une belle marge d’amélioration dans deux autres domaines : le développement de compétences numériques, comme l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle, et le développement de compétences de carrière. Ces dernières sont en effet essentielles dans le contexte d’une gestion durable des talents. “Les gens doivent comprendre que leur fonction n’existera pas jusqu’à la fin des temps, ou du moins pas dans sa forme actuelle. Ils doivent s’y préparer et développer les compétences qu’exigeront ces fonctions du futur. Cela demande un growth mindset, c’est-à-dire un état d’esprit qui leur permettra de ne pas perdre leur valeur ajoutée dans le monde de la finance.”
Favoriser la mobilité interne, offrir aux collaborateurs les compétences de carrière nécessaires et travailler à être un employeur durable et doté d’une perspective à long terme ainsi que d’un growth mindset... Il est clair qu’il s’agit là de facteurs de succès indispensables pour les entreprises d’aujourd’hui.
“Les évaluations peuvent constituer un point de départ intéressant pour un dialogue pertinent avec les collaborateurs. Elles permettent en effet des entretiens plus approfondis, qui mènent à de meilleures décisions, et donc aussi à des relations professionnelles plus durables avec les collaborateurs”, explique Cleo Marteleur, Business Development Lead chez TriFinance.
C’est la raison pour laquelle TriFinance dispose de scans spécifiques à divers profils de fonction au sein de la finance. Ces scans mesurent la force de pensée, le talent et les connaissances, en plus d’inventorier les compétences du collaborateur, en termes absolus mais aussi en comparaison avec les autres professionnels exerçant la même fonction.
“Les scans peuvent être utilisés dans le cadre de l’acquisition de talents dans le processus de recrutement et la gestion des talents, en aidant, au niveau individuel, à orienter la carrière du collaborateur vers ses talents. Au niveau collectif, les scans permettent de révéler le potentiel des départements financiers, en plaçant le bon collaborateur au bon endroit”, ajoute Cleo.
Faciliter l’apprentissage tout au long de la vie pour lutter contre l’inertie professionnelle
La Belgique n’atteint pas des sommets en termes de mobilité interne et externe sur le marché du travail, ce qui prouve qu’il reste du pain sur la planche. “Nombreux sont ceux qui n’ont pas encore intégré que l’idée d’un job pour la vie avait fait son temps. Certains cherchent des fonctions qui leur permettront d’évoluer sans cesse, mais d’autres ont besoin de plus de sécurité ou ne cherchent pas sérieusement à changer de fonction. L’un des plus grands défis auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés est le fait que la capacité à apprendre de nouvelles choses a tendance à s’atrophier chez les personnes qui ne pratiquent pas ce ‘muscle’ depuis des années. Et il en va de même pour leur capacité d’adaptation.”
L’un des plus grands défis auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés est le fait que la capacité à apprendre de nouvelles choses a tendance à s’atrophier chez les personnes qui ne pratiquent pas ce ‘muscle’ depuis des années.
“On ne développe pas des compétences de carrière en une journée dans le cadre d’une formation. Les employeurs doivent coacher leurs collaborateurs et leur offrir un environnement dans lequel ils pourront développer cet état d’esprit.” Les grandes entreprises disposent des moyens pour mettre sur pied une académie et pour pratiquer le talent building, mais il y a d’autres façons d’y arriver. “Les entreprises sont de plus en plus enclines à laisser leurs collaborateurs travailler à temps partiel dans d’autres projets ou trajets de formation, afin de se préparer à leur prochain job. Faire en sorte que personne ne se retrouve jamais sans emploi, car tout le monde est toujours en train de se préparer pour la suite : voilà la perspective de durabilité et la vision à long terme que nous recherchons !”
Faire en sorte que personne ne se retrouve jamais sans emploi, car tout le monde est toujours en train de se préparer pour la suite : voilà la perspective de durabilité et la vision à long terme que nous recherchons !
Travailler sur la base de rôles plutôt que sur des jobs prédéfinis semble aussi être une stratégie judicieuse. “En essayant de trouver un collaborateur pour chaque poste vacant, les entreprises se compliquent inutilement la vie sur un marché du travail déjà complexe. Alors qu’en engageant quelqu’un qui pourra réaliser plusieurs tâches et mener plusieurs projets en même temps, elles pourraient booster leurs performances.” Tout le monde y gagne : les collaborateurs ont la possibilité d’évoluer à leur rythme au sein de l’entreprise qui, à son tour, a le temps de voir venir et de s’assurer que tous ses postes sont pourvus.
Jan est bien conscient que cette flexibilité accrue ne facilite pas la gestion des talents, mais souligne que la numérisation peut apporter un soulagement à ce niveau, et de manière générale.
La technologie comme solution
Malgré le fait que les évolutions technologiques ajoutent une fameuse dose de complexité à toute politique de gestion des talents, la technologie fait aussi partie de la solution. Prenons l’exemple d’un inventaire des talents, qui offre un aperçu de tous les profils (internes et externes) et de leurs compétences. “Toute la difficulté consiste à maintenir à jour cette organisation basée sur les compétences, de sorte à pouvoir instantanément relier de nouveaux certificats ou microdiplômes avec des fonctions ou rôles qui font leur apparition.” Et ce, éventuellement avec l’aide de l’IA. “Je suis certain que les développements technologiques permettront un matching et une chaîne d’approvisionnement nettement plus efficaces, qui nous permettront de réfléchir davantage du point de vue de l’offre et de la demande pour ce qui concerne l’embauche de nouveaux collaborateurs.”
Mais il ne faut pas pour autant négliger l’importance d’une approche individuelle. En fin de compte, nous avons tous des traits de personnalité, des souhaits et des besoins différents. Outre le contenu concret d’une fonction, plusieurs conditions connexes entrent aussi en ligne de compte, comme le régime de travail et l’éventuel besoin de flexibilité, l’environnement professionnel et la relation de travail. “Autant de facteurs qui doivent idéalement être abordés lors des entretiens professionnels réguliers entre le personnel des ressources humaines et les collaborateurs financiers. Et ici aussi, des outils technologiques peuvent se révéler utiles, par exemple en signalant qu’il est temps d’organiser un nouvel entretien.”
L’avenir appartient aux organisations qui sauront faire de leur gestion des talents un processus global et durable et qui, sur le long terme, arriveront à aligner les besoins changeants de leur département financier sur ceux de leurs collaborateurs.
Une mission commune
“L’avenir appartient aux organisations qui sauront faire de leur gestion des talents un processus global et durable et qui, sur le long terme, arriveront à aligner les besoins changeants de leur département financier sur ceux de leurs collaborateurs”, conclut Jan. “Il faut le voir comme une mission commune, qui incombe au personnel des ressources humaines, au dirigeant (la première ligne des RH) et, évidemment, au collaborateur lui-même, de mener une discussion axée sur le long terme et imprégnée de technologie. Ainsi, il devient possible de créer un modèle dynamique et de façonner des carrières durables.”
Volatil, complexe, ambigu, incertain... Voilà comment on pourrait qualifier le monde dans lequel nous vivons. D’ici cinq ans, les jobs dans le domaine de la finance ne seront plus les mêmes qu’aujourd’hui. Quels changements nos fonctions subiront-elles ? Quels nouveaux rôles apparaîtront et lesquels disparaîtront ? Nul ne le sait à l’heure actuelle.
Mais une chose est sûre : l’avenir appartient aux professionnels de la finance qui sauront accepter ces changements, ne jamais s’arrêter d’enrichir leurs connaissances et oser se réinventer. Mais aussi aux employeurs qui adopteront une approche durable en matière de gestion des talents, qui accompagneront leurs collaborateurs dans le développement de leurs compétences et qui continueront à aligner les besoins de l’entreprise sur ceux de leurs employés.
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